A Dijon, dernier concert avant le couvre-feu
par Yvan Beuvard pour Crescendo magazine
Un beau programme, associant de façon surprenante Duparc, Tchaïkovski à Mendelssohn, nous était proposé par l’Orchestre Dijon Bourgogne, associé à l’Opéra. C’était l’occasion de découvrir Nicolas André, jeune chef français, assistant de Kent Nagano à Hambourg ces deux dernières années, puis choisi par Hervé Niquet pour associé à Bruxelles. Sans oublier Istvan Vardai, étoile montante du violoncelle hongrois, lauréat de prix prestigieux.
Pour commencer, une pièce rare de Duparc, écrite pour son projet d’opéra (Roussalka) en 1874 puis révisée en 1911 : Aux étoiles, poème nocturne. Ces douze pages d’orchestre méritent pleinement de sortir de l’ombre même si le père Franck et d’Indy se devinent en filigrane. Sur une pédale des basses s’installe l’atmosphère paisible du nocturne, avec d’amples phrases, confiées aux cordes aux splendides modelés, auxquelles prennent part le violon solo, suivi de trois de ses voisins. Un beau motif confié à l’unisson de la clarinette, du hautbois et du cor conduit à quelques bouffées d’exaltation avant de retrouver la sérénité initiale. La page, à peine antérieure à Lénore, est défendue avec conviction par la direction de Nicolas André et l’engagement des musiciens.
Qui n’a entendu les Variations sur un thème rococo de Tchaïkovski, pratiquement contemporaines ? Le thème s’en mémorise aisément et les sept variations (c’est la version de Fitzenhagen, son créateur, qui a été retenue) vont être prétexte à une démonstration de virtuosité. Aimable divertissement qui anticipe le néo-classicisme, sa lecture, appliquée, par le chef et l’orchestre, ne sortait guère cette belle page des conventions. Un début surprenant par l’oubli ou l’écrasement des dynamiques attendues (de piano à mezzo-forte pour n’atteindre au forte que juste avant l’exposé du thème). On en retiendra la qualité de la ritournelle des bois (hautbois, clarinette et bassons). C’est élégant comme un divertissement mozartien (qu’adorait Tchaïkovski), ici léger et superficiel. L’andante sostenuto (3e variation) est délicieux, les variations suivantes fort agréables. L’aisance naturelle du soliste, au jeu exemplaire, convainc. Son lyrisme raffiné correspond à l’esprit de l’ouvrage. On est d’autant plus surpris par les quelques libertés qu’il s’octroie (par exemple la suppression du fortissimo précédent le trille ultime de sa cadence). Mais ne boudons pas notre plaisir à l’écoute de cette pièce aimable, toujours appréciée du public qui, ce soir, ovationne longuement Istvan Vardai. La sarabande de la 6e Suite pour violoncelle seul de Bach lui sera offerte.
Le meilleur était pour la fin. Evidemment célèbre, la Symphonie « Italienne » de Mendelssohn n’en recèle pas moins des trésors interprétatifs. Chef et orchestre vont porter chaque mouvement avec enthousiasme. Le premier a toute la dynamique attendue, sans fébrilité. La légèreté, la précision sont au service d’une jubilation profonde. C’est jeune, contrasté à souhait, et l’on se retient d’applaudir au terme de l’allegro vivace. L’andante souffre un peu de la ponctuation un peu trop appuyée des basses, mais le caractère méditatif et mélancolique est bien là, avec l’illumination de la partie centrale avant que la procession reprenne son cours. Ce qui tient lieu de scherzo (con moto moderato) est ici chantant, élégant, avec grâce, assorti d’un beau solo de cor (qui anticipe l’atmosphère du nocturne du Songe d’une nuit d’été). Quant au saltarello, endiablé au point que le tempo se relâche assez vite, il nous réserve des contrastes accusés. Les cordes, aériennes renvoient aussi à l’ouverture du Songe. C’est dans une exaltation proche de la transe, sorte de course effrénée, que s’achève cette merveilleuse symphonie. La direction s’est métamorphosée, épanouie, claire, attentive à chacun. Les musiciens ne font qu’un et le bonheur manifeste qu’ils éprouvent à nous donner cette œuvre est partagé par le public nombreux.
Dijon, Auditorium, le 22 octobre 2020
Crédit photographique : Y.B.